La leçon du Petit Prince
Voici un petit article que j'avais publié il y a une dizaine d'années dans un périodique très politiquement incorrect (il n'est pas à tendance démocratique, chut !) sur la pensée véritable de ce fameux livre autant connu que mal compris qu'est Le Petit Prince.
Qui ne connaît Le Petit Prince ? La célèbre phrase
« Dessine-moi un mouton » est passée à la postérité. Mais qui connaît
la substantifique moelle se cachant derrière cette petite histoire ?
Assurément peu la comprennent en ces temps individualistes et matérialistes.
Saint-Exupéry
déplore la société économique dans laquelle il vit (et oui, elle existait
déjà…) Cette société, où règne l’individualisme et d’où découle le pragmatisme,
le conformisme, l’absence cruelle d’imagination, la cupidité et la soif de
pouvoir, est décriée au travers d’une multitude de symboles (comme les baobabs
représentant l’égocentrisme et l’ambition démesurée de l’homme moderne). Sous
le couvert d’une anodine fable enfantine, Saint-Exupéry expose donc sa vision amère
d’un monde dans lequel les hommes s’ignorent et s’isolent. Pour parodier La boétie, l’auteur aurait pu
écrire De la « Solitude » Volontaire…
A cela cet aviateur-écrivain oppose
comme remède la nécessité de l’amitié ; une amitié source de différence et
anti-égalitaire (n’en déplaise aux gauchistes bien-pensants) : « Ce
n’était qu’un renard semblable à cent mille autres. Mais j’en ai fait un ami,
et il est maintenant unique au monde. » Cette amitié qui se traduit dans
des rites, des coutumes rendant la vie gaie et joyeuse, a pour fondement une
certaine spiritualité. En effet, l’amitié ne s’attache pas aux choses visibles,
au matériel ; l’amitié véritable est d’ordre supérieur : « On ne
voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » Ce
qui doit unir les hommes n’est donc pas leur compte en banque, ni leurs goûts
ou leur couleur, mais leur beauté intérieure, leur personnalité, leur essence.
Aussi cette amitié profonde et transcendante (la seule valable) est-elle
primordiale (« C’est bien d’avoir un ami, même si l’on va mourir »)
car elle est l’unique sédiment social.
Voilà la leçon aristotélicienne que l’on peut tirer de ce livre
apparemment naïf et que la démocratie actuelle ne sait ou ne veut qu’ignorer. Mais
à l’heure de l’individualisme, de l’économie sauvage, du progrès illimité et
déraisonné qui tuent l’amitié, c’est bien compréhensible.