Sartre ou la vitrine de notre temps
Réflexion personnelle sur les conséquences de l'existentialisme athée.
Sartre
est-il passé de mode ? Certes non. Bien sûr, on ne monte plus sur des
tonneaux pour clamer haut et fort sa rébellion contre la société (non maintenant on écrit des chansons "à texte", on fait des films engagés, on défile dans les rues lorsque les caméras sont présentes, on écrit des livres politiquement incorrects dans des grandes maisons d'édition...), mais la philosophie sartrienne demeure toujours un symbole du
contexte intellectuel dans lequel nous vivons. Ce philosophe, essayiste,
romancier et auteur de pièces de théâtre fut en son temps adulé et semblerait à
présent passé de mode comme toute chose aujourd’hui voué au dieu éphémère.
Cependant, est-il un auteur d’une autre époque ? Il suffit d’étudier un
tant soit peu sa doctrine philosophique pour répondre que non ; il est même
un parfait représentant de la mentalité moderne.
Sartre est un existentialiste. Ce terme n’a rien à
voir avec une certaine jeunesse qui passait ses nuits à écouter du jazz dans
les caves à Saint-Germain-des-Prés mais renvoie plutôt à une philosophie qu’il
convient d’éclaircir. L’existentialisme sartrien est athée : la précision
est importante non seulement à ses yeux, mais également pour l’intelligence de
sa doctrine. En effet, l’existentialisme athée nie évidemment l’existence de
Dieu mais doit en assumer toutes les conséquences. Puisque rien n’est supérieur à l’homme,
puisque rien ne lui est transcendant et si aucune essence ne préexiste à l’homme,
alors donc il devra logiquement se construire en étant pleinement responsable des ses actes et de ses choix. Et qu’en est-il au niveau de l’individu ?
Idem : personne n’a à actualiser ce qu’il est en puissance (pour reprendre
un langage aristotélicien). Je ne suis que ce que j’ai choisi d’être. Qu’est-ce
à dire ? Que chacun est « projeté » dans l’avenir, à savoir que « l’existence
précède l’essence »…
Ce
n’est toujours pas clair ? Effaçons alors ce langage légèrement compliqué
et quelque peu tordu pour dévoiler la fade et triste réalité. Le concept d’essence
n’existe pas et ce, aussi bien au niveau de l’Homme qu’au niveau de l’individu :
ni essence humaine, ni essence individuelle. L’homme n’est rien avant qu’il ne
naisse. Il n’y a aucune nature que l’homme devrait accomplir ; le concept
d’homme en général est une fiction. Quant à l’individu, il est libéré d’une
nature qu’il aurait à accomplir pour être ce que la nature l’a doté. Il doit
alors choisir sa vie et se définir perpétuellement. Chacune de ses pensées,
chacun de ses actes est une pierre posée à l’édifice de sa propre individualité.
La patrie, l’héritage, l’histoire et la nation ne sont rien : seul l’individu
et son engagement comptent. Aucun cadre ne vient donc le limiter ni définir l’homme,
si ce n’est ses choix libres de toute détermination
Puisque Dieu n’existe pas, l’existence est donc
absurde car rien ne définit a priori le pourquoi de l’humanité ; dès lors,
l’individu doit se choisir librement. Or, voilà la difficulté. L’homme est
absolument libre, il est « condamné à être libre ». Tel est le paradoxe
que reconnaît Sartre et tel est celui de la modernité : une
liberté sans barrière qui nous pousse continuellement à agir et à faire ce que
bon nous semble. Seulement, l’individu en se façonnant construit également, par
ses propres choix, l’humanité : « l’existentialisme est un
humanisme ». Puisque l’homme est délaissé, l’individu a tout à construire.
De ce fait, chaque engagement de ma part engage celui de l’humanité entière. Dès
lors, la liberté de se choisir implique l’avenir de tous les hommes ; les
conséquences de nos décisions tracent la voie sur laquelle l’humanité s’aventure.
Nous sommes responsables de nos actes devant les autres et non plus devant
Dieu. De l’existentialisme athée découle alors une liberté obligée et
permanente par laquelle l’humanité est édifiée et dont on se demande si elle ne
finit pas par constituer son être (rappelons que l’homme EST liberté)… Mais
comment supporter le poids d’une telle responsabilité ?
Ainsi éclairés sur l’existentialisme athée, la parenté
entre notre société et la philosophie sartrienne est éclatante. Le monde
contemporain ne cherche-t-il pas l’égalitarisme et n’impose-t-il pas à toute la
planète une destination unique, celle de l’économisme ? Les grandes
consciences ne placent-elles pas le progrès et la « moralité » dans
le socialisme ? Ne faut-il pas toujours plus de social ? Entendez
par-là des conditions de vie matérielle quasi identiques pour tous et un
partage des mêmes valeurs (qui ne peuvent être que communistes puisqu’il faut
que tous les partagent !)… L’unique moyen pour vivre sans Dieu et donc
dans l’absolue gratuité est cette abominable idéologie communiste, dont Sartre
n’est qu’un des multiples visages.