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La libre réflexion
26 janvier 2008

Sartre ou la vitrine de notre temps

Réflexion personnelle sur les conséquences de l'existentialisme athée.


    Sartre est-il passé de mode ? Certes non. Bien sûr, on ne monte plus sur des tonneaux pour clamer haut et fort sa rébellion contre la société (non maintenant on écrit des chansons "à texte", on fait des films engagés, on défile dans les rues lorsque les caméras sont présentes, on écrit des livres politiquement incorrects dans des grandes maisons d'édition...), mais la philosophie sartrienne demeure toujours un symbole du contexte intellectuel dans lequel nous vivons. Ce philosophe, essayiste, romancier et auteur de pièces de théâtre fut en son temps adulé et semblerait à présent passé de mode comme toute chose aujourd’hui voué au dieu éphémère. Cependant, est-il un auteur d’une autre époque ? Il suffit d’étudier un tant soit peu sa doctrine philosophique pour répondre que non ; il est même un parfait représentant de la mentalité moderne.

 
    Sartre est un existentialiste. Ce terme n’a rien à voir avec une certaine jeunesse qui passait ses nuits à écouter du jazz dans les caves à Saint-Germain-des-Prés mais renvoie plutôt à une philosophie qu’il convient d’éclaircir. L’existentialisme sartrien est athée : la précision est importante non seulement à ses yeux, mais également pour l’intelligence de sa doctrine. En effet, l’existentialisme athée nie évidemment l’existence de Dieu mais doit en assumer toutes les conséquences. Puisque rien n’est supérieur à l’homme, puisque rien ne lui est transcendant et si aucune essence ne préexiste à l’homme, alors donc il devra logiquement se construire en étant pleinement responsable des ses actes et de ses choix. Et qu’en est-il au niveau de l’individu ? Idem : personne n’a à actualiser ce qu’il est en puissance (pour reprendre un langage aristotélicien). Je ne suis que ce que j’ai choisi d’être. Qu’est-ce à dire ? Que chacun est « projeté » dans l’avenir, à savoir que « l’existence précède l’essence »…

    Ce n’est toujours pas clair ? Effaçons alors ce langage légèrement compliqué et quelque peu tordu pour dévoiler la fade et triste réalité. Le concept d’essence n’existe pas et ce, aussi bien au niveau de l’Homme qu’au niveau de l’individu : ni essence humaine, ni essence individuelle. L’homme n’est rien avant qu’il ne naisse. Il n’y a aucune nature que l’homme devrait accomplir ; le concept d’homme en général est une fiction. Quant à l’individu, il est libéré d’une nature qu’il aurait à accomplir pour être ce que la nature l’a doté. Il doit alors choisir sa vie et se définir perpétuellement. Chacune de ses pensées, chacun de ses actes est une pierre posée à l’édifice de sa propre individualité. La patrie, l’héritage, l’histoire et la nation ne sont rien : seul l’individu et son engagement comptent. Aucun cadre ne vient donc le limiter ni définir l’homme, si ce n’est ses choix libres de toute détermination. Ainsi, sous un vocabulaire complexe, un style compliqué et une littérature imbuvable, Sartre n’est que le porte-drapeau du culte de l’individu. Mais dire que l’homme abstrait est de l’ordre de la fable enfantine et que chacun doit bâtit son avenir est chose à facile ; le vivre l’est beaucoup moins. Tirons-en, à présent, les conséquences pratiques.

Puisque Dieu n’existe pas, l’existence est donc absurde car rien ne définit a priori le pourquoi de l’humanité ; dès lors, l’individu doit se choisir librement. Or, voilà la difficulté. L’homme est absolument libre, il est « condamné à être libre ». Tel est le paradoxe que reconnaît Sartre et tel est celui de la modernité : une liberté sans barrière qui nous pousse continuellement à agir et à faire ce que bon nous semble. Seulement, l’individu en se façonnant construit également, par ses propres choix, l’humanité : « l’existentialisme est un humanisme ». Puisque l’homme est délaissé, l’individu a tout à construire. De ce fait, chaque engagement de ma part engage celui de l’humanité entière. Dès lors, la liberté de se choisir implique l’avenir de tous les hommes ; les conséquences de nos décisions tracent la voie sur laquelle l’humanité s’aventure. Nous sommes responsables de nos actes devant les autres et non plus devant Dieu. De l’existentialisme athée découle alors une liberté obligée et permanente par laquelle l’humanité est édifiée et dont on se demande si elle ne finit pas par constituer son être (rappelons que l’homme EST liberté)… Mais comment supporter le poids d’une telle responsabilité ?

  Soit l’homme use de sa liberté pour lui-même et se refuse à admettre que ses choix engagent aussi l’humanité : c’est ce que Sartre nomme la mauvaise foi (et c’est une certaine critique du libéralisme) ; soit l’homme est saisi d’angoisse car il prend conscience que sa démarche implique l’humanité toute entière. Il faut alors recourir à un socialisme fortement teinté de communisme pour définir une humanité unie et construire ensemble une Histoire. En effet, il faut unir tous les hommes dans une seule volonté et une seule destination commune pour que les libertés ne s’opposent pas entre elles. Cette seconde voie est celle que Sartre adopta en fondant le journal Libération et en déclarant, en 1952, que « tout anticommuniste est un chien » !

Ainsi éclairés sur l’existentialisme athée, la parenté entre notre société et la philosophie sartrienne est éclatante. Le monde contemporain ne cherche-t-il pas l’égalitarisme et n’impose-t-il pas à toute la planète une destination unique, celle de l’économisme ? Les grandes consciences ne placent-elles pas le progrès et la « moralité » dans le socialisme ? Ne faut-il pas toujours plus de social ? Entendez par-là des conditions de vie matérielle quasi identiques pour tous et un partage des mêmes valeurs (qui ne peuvent être que communistes puisqu’il faut que tous les partagent !)… L’unique moyen pour vivre sans Dieu et donc dans l’absolue gratuité est cette abominable idéologie communiste, dont Sartre n’est qu’un des multiples visages.

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